Communiquer entre biologistes et ingénieurs

Rédigé par Aquideas Aucun commentaire
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Il est des secteurs où la coopération fonctionne bien entre professionnels de spécialisation distincte,

car elles peuvent être fort complémentaires.

     Il suffit de prendre l’exemple de beaucoup d’applications issues d’une compréhension mutuelle entre médecins, biologistes, chimistes et ingénieurs. Voyez certains équipements médicaux très spécifiques, mais également fiables, qu’ils parviennent à développer ensemble :

  • C’est le cas des traitements d’hémofiltration et d'hémodialyse, filtre sanguin externe au corps permettant de nettoyer le sang1 utilisé en chirurgie ou pour remédier à des reins qui n’assument plus correctement leur fonction. C’est un secteur dans lequel il est très important de bien communiquer entre biologistes et ingénieurs ;

  • C’est aussi le cas de certaines prothèses de plus en plus sophistiquées pour les amputés des mains et bras, avec l’aide de l’électronique, permettant d’être presque aussi précis qu’un geste naturel ;

  • C’est encore le cas des appareils qui enregistrent à la fois plusieurs paramètres chez des patients souffrant d’apnée. Cela permettra par la suite d’analyser des données chiffrées et monter des graphiques pour permettre au médecin d’opter pour tel ou tel traitement.

     Mais il est un domaine où il y a énormément à faire et qui reste encore non-solutionné dans bien des cas : celui concernant le monde aquatique. Depuis quelques années, de timides initiatives ont été réalisées dans des domaines précis, parmi ceux-ci :

  • L’évaluation des ressources halieutiques c’est-à-dire comment déterminer la masse de poissons qui se trouve sous la surface des mers/océans ;

  • La production contrôlée et programmée d’œufs, alevins, larves, post-larves et juvéniles par des techniques naturelles (environnement favorable), une alimentation particulière ou un photopériodisme spécifique ;

  • L’élaboration de modules économiques pour certaines espèces dont on connaît les caractéristiques précises de croissance.

     Si l’on prend l’évaluation de stocks d’espèces aquatiques, il faudra passer par la collecte de données en utilisant des méthodes et des moyens techniques particulièrement adaptés. Puis, il faudra analyser les données chiffrées par des programmes de statistiques appropriées. Cela permettra enfin de découvrir d’éventuelles tendances qui aboutiront à la prise de décision afin de protéger les espèces exploitées. Cette protection sera particulièrement importante si ces dernières sont en nette diminution, pour ne pas les voir disparaître dans un proche avenir.

     Cette tentative d’analyse requiert des notions biologiques, comportementales et d’approches techniques basées sur des échantillonnages. Il faudra ensuite utiliser des outils de statistiques appliquées. La pratique et l’expérience seront alors recherchées dans quelques disciplines, comme des techniciens qui collecteront les échantillons, météorologistes, statisticiens et ingénieurs pour n’en citer que quelques-unes.

     Dans d’autres articles, nous reviendrons sur ces considérations importantes pour la gestion de certains stocks en mer. Ceci fait l’objet notamment du travail de quelques organisations internationales2 qui se penchent depuis plusieurs dizaines d’années sur cette problématique cruciale pour l’exploitation raisonnées de quelques espèces commerciales majeures3 vivant dans les océans. Il en va de la survie de la pêche dans toutes les eaux de notre planète : être viable en adaptant des pratiques responsables.

     En aquaculture, les éleveurs d’organismes aquatiques et biologistes devraient se rapprocher de techniciens et ingénieurs concernés par des compétences qui pourraient compléter les sciences du vivant. En effet, chacun d’eux a souvent d’excellentes idées, mais chacune d’elles a aussi des limitations qui ne permettent pas de se réaliser pleinement. Ainsi,

  • On voit des aquaculteurs astucieux qui ont un grand sens d’observation, mais qui rament parce qu’ils n’ont pas toujours les équipements adéquats et les bases mathématiques nécessaires.

  • On découvre des bricoleurs, non impliqués directement en aquaculture, qui pourraient adapter leurs inventions pour faciliter certaines activités dans l’élevage sous l’eau. Malheureusement, ceux-ci manquent d’informations aquacoles.

  • Enfin, il y a des ingénieurs qui savent calculer, mais qui au moment de développer une application aquacole, manque d’expérience biologique pour sortir un équipement/une machine/un outil qui pourrait se révéler fort utile.

     Ainsi, des échanges pourraient profiter aux deux parties pour développer un secteur qui ne demande qu’à être mieux connu. A continuation, voici un exemple qui illustre ce qui vient d’être dit :

Nous avons connu des ingénieurs qui avaient une excellente formation et qui travaillaient pour une grosse entreprise internationale. Ils avaient plein d’idées et souhaitaient aussi s’investir dans un projet plus personnel sur le long terme. Il est vrai qu’une telle entreprise produit souvent des services relativement spécifiques dans des domaines fort particuliers qui ne peuvent pas toujours être applicables à un seul individu, à une petite structure familiale ou même à un groupe limité de personnes. De plus, l’entreprise internationale s’adresse la plupart du temps à une clientèle issue du secteur public (gouvernemental) ou répond à des appels d’offres nationales et internationales. Dans notre cas, nos ingénieurs avaient été formés en mécanique et électricité, ce qui est intéressant dans bien des secteurs, comme en aquaculture.

C’est alors qu’ils eurent l’idée de se diversifier pour assurer leurs vieux jours. Concours de circonstances, ils rencontrèrent un fabricant d’aliments pour poissons et crustacés qui leurs vanta un système intensif unique (...) pour produire une espèce aquatique sur une très faible surface. Toutefois, comment voulez-vous déjà juger ce que l’on vous propose lorsqu’on n’a pas les bases minimales en biologie (et je ne parle même pas de biologie « marine ») ? La proposition est-elle réaliste ? Qui va faire quoi ? Car cela implique un certain nombre d’activités à assurer : le montage de la structure, la reproduction de l’espèce aquatique élue, le grossissement de cette espèce (c’est-à-dire avoir un minimum de connaissances en nutrition aquatique), tout aussi importante la filtration de l’eau servant à l’élevage (autrement dit avoir des connaissances en matière de qualité/chimie du milieu aquatique ...tellement particulier), l’hygiène de l’installation et la prophylaxie de l’espèce considérée (donc, avoir des notions sur les maladies se développant dans l’eau - bactéries, virus, parasites, champignons et traumatismes environnementaux),… Je pourrais continuer la liste à laquelle les aquaculteurs sont parfois mis à rude contribution ...et qui voient leurs bénéfices s’envoler.

Et puis, non des moindres, qu’allaient-il produire au final ? Beaucoup (?) de poissons/crustacés de plus petites tailles ...ou bien moins d’animaux, mais plus grands/gros ? Avec des caractéristiques organoleptiques qui ne reflètent qu’une alimentation à base de concentrés/granulés/flakes4 ?

     Voyez-vous, lorsqu’on n’est pas de la partie, s’improviser est toujours un jeu dangereux ! Et cela est dû au fait qu’il faut soit compléter son éducation par une formation en biologie (marine/piscicole souhaitée), soit consulter des gens qui ont de l’expérience pour qu’ils puissent les sensibiliser sur des points cruciaux propres aux élevages dans l’eau. En effet, produire en intensif avec des apports artificiels (engrais, aliments, substances sanitaires) provenant de l’extérieur n’est certes pas la même chose que de faire des animaux en extensif en profitant de ce que l’environnement peut offrir comme aliment naturel. L’expérience démontre clairement que la quantité va la plupart du temps dans le sens inverse de la qualité !

     Lorsque vous construisez une installation aquacole, il faudra parfois tenir compte d’importants paramètres. Pour produire de manière rentable, il vous faudra les ajuster à des repères optimaux. Prenons quelques exemples :

  1. Pour produire efficacement, il faut une bonne oxygénation de l’eau. Quel est le meilleur système à utiliser ? Si vous disposez d’une chute d’eau à l’entrée de votre pisciculture, serez-vous capable de produire suffisamment d’oxygène dissout dans l’eau d’élevage pour ne pas freiner la croissance des poissons ? A partir de quelle hauteur et quel débit cela devient-il intéressant ? Faudra-t’il ajouter un artéfact supplémentaire, comme par exemple une ou plusieurs planches sur lesquelles l’eau (en s’écrasant) viendra encore plus s’oxygéner ? Une pompe à eau sera-t’elle plus efficace pour atteindre la concentration d’oxygène voulue ? Ou faudra-t’il installer des aérateurs mécaniques pour compléter le manque d’oxygène ...dû à une haute densité des crevettes au mètre carré ? Ou encore devrez-vous faire appel à une soufflante d’air (blower ou blowair) ou un injecteur d’oxygène liquide pour obtenir un résultat supérieur ?

Voilà quelques alternatives exposées, mais laquelle choisir ? Comment estimer celles-ci pour pouvoir les comparer ? En tout état de cause, il faudra faire des calculs en tenant compte du type d’installation, des caractéristiques de l’alimentation en eau et des conditions d’élevage. Un ingénieur hydraulique est bien souvent la personne la mieux placée pour mener à bien cette évaluation en coopération avec l’éleveur-biologique.

  1. Un perturbateur qui limite la croissance des organismes aquatiques est l’ammoniaque5 dissout dans l’eau d’élevage. Cela engendre des concentrations de nitrites élevées qui sont toxiques pouvant conduire le cheptel à un fort pourcentage de mortalité. D’où l’importance de le détecter périodiquement, l’estimer et d’en connaître les préventions et les remèdes. Il y a bien sûr des appareils pour faire de telles mesures, mais ils ne font que mesurer. Un chimiste ou un ingénieur chimiste pourrait bien assurer ces calculs et conseiller l’éleveur face à pareil dilemme.

  2. Pour construire des « raceways »6, on doit pouvoir les optimiser. Il s’agit d’être rentable ! Dans une approche d’ingénierie (calculs), le « matheux » devra tenir compte de plusieurs composantes ...comme (a) quelle doit être la vitesse idéale de l’eau pour apporter le plus d’eau fraîche (d’oxygène) possible ? (b) pour prévenir toute dégradation de la qualité de l’eau, quelle est la vitesse idéale pour emmener les pellets fécaux (déchets) hors du système ? (c) quel doit être le débit minimum de l’eau pour que les poissons/crustacés ne soient pas affectés d’un point de vue respiratoire (prise d’oxygène par les branchies) ?

  3. Pour produire l’électricité nécessaire au spécificités d’une aquaculture, un ingénieur ayant un peu d’expérience doit être capable de proposer un schéma d’installation par panneaux solaires, éolienne, roue hydraulique (turbine) ou par un autre moyen plus classique.

     Les raceways sont relativement populaires dans certains pays (dont la France). Ils sont particulièrement prisés, parfois gigantesques, aux U.S.A., comme dans l’État du Idaho (voir ci-dessous). Mais dans tous ces cas, l’ingénieur devra en savoir plus sur la densité des animaux mis en grossissement dans chacune de ces infrastructures artificielles

externes. Il devra également en savoir plus sur les besoins critiques en oxygène de l’espèce considérée (dans le cas ci-dessus, les truites jaunes). Enfin, dans quel courant, les crevettes ou les poissons ne parviendront-ils plus à se maintenir en équilibre face à la force du courant ? Ils seront alors inexorablement refoulés vers l’aval (l’arrière) du raceway et être involontairement compressés les uns sur les autres ...aboutissant à une mortalité certaine.

 

 

     Vous me direz que lorsqu’on est aquaculteur, on devine beaucoup de choses ...parce que on a de l’expérience (que vous avez déjà essayé et en tirez des conséquences). Mais tout le monde ne peut juger aussi facilement. Donc, il faut faire des calculs ou faire, bien souvent, appel au savoir de quelqu’un qui sait les faire et qui en a l’habitude dans ce domaine particulier de l’hydraulique appliquée.

     Lorsque vous construisez une nouvelle ferme, une installation du type ci-dessus décrite, un barrage ou une retenue d’eau, une distribution d’eau, un filtre mécanique, faites appel à un professionnel du calcul ...cela pourrait dans bien des cas anticiper de gros problèmes.

     Enfin, il en va également du coût d’investissement. La construction de la nouvelle infrastructure sera peut-être construite avec le double de matériaux (parpaings, ciment, ferraille...) qu’il n’en faut réellement pour les charges/densités d’animaux envisagées ! Beaucoup trop d’écloseries de par le monde (surtout celles du secteur public) ont été construites à des échelles surdimensionnées, qui n’ont jamais pu produire la quantité d’alevins ou de post-larves capable d’être absorbée par la phase de grossissement ! En réalité, un énormément de gâchis…

     Un ingénieur peut très facilement planifier/dessiner une ferme aquacole produisant 1.000.000 euros pour un investissement (construction de l’infrastructure) de 1.000.000 euros. Mais il serait tout de même plus judicieux de pouvoir produire ce même 1.000.000 euros avec seulement 100.000 euros d’investissement ...s’il avait échangé des informations cruciales avec éleveurs et biologistes ayant une formation marine ou en eau douce pour faire son job !

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1 Des déchets et de l’eau

2 Comme l’International Commission for the Conservation of Atlantic Tunas (ou ICCAT) ou l’International Council for the Exploration of the Sea (ou ICES).

3Comme le thon, la morue, le maquereau, le hareng, les sardines, anchois, poissons plats et quelques crustacés ...qui sont effectivement très exploités.

4 Chips qui flottent (aliments « extrudés »).

5 Provenant essentiellement de la dégradation de la qualité des eaux à cause des pellets fécaux.

6 Sorte de larges canaux, construits en parpaings, pour mener un élevage aquacole des types truites et crevettes subtropicales.

Quelle est le dernier caractère du mot y28kl ?

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