Gestion de la qualité de l’eau en aquaculture (I)

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     Tout élevage aquacole requiert un contrôle régulier des eaux pour conduire les poissons, crustacés et mollusques aquatiques vers leurs tailles commerciales. Sans cette considération importante, des accidents peuvent provoquer des retards de croissance, des maladies et même de la mortalité dans le cheptel.

     Dans bien des cas, cela aurait pu être évité si périodiquement on avait effectué quelques analyses élémentaires de leur eau en amont de l’exploitation.

     Lors d’une récolte de tilapias en 1978 en Costa Rica (Amérique centrale), nous avions été confrontés à un curieux phénomène : une grosse partie de nos poissons présentaient tout le long de leur corps une déformation « ondulée » (comme les tôles ondulées d’une toiture). L’eau d’élevage provenait d’une rivière qui traversait, bien en amont, une plantation de bananiers. Après notre enquête, nous avions appris que plusieurs traitements de nématocides avaient été appliqués au pied de chaque bananier dans cette plantation. Les pluies orageuses avaient alors emporté les résidus chimiques dans les nombreux canaux de drainage qui quadrillaient la plantation pour finalement se jeter dans la rivière. De fait, après analyse au laboratoire, nous avons retrouvé les mêmes composants chimiques dans la chair-même de nos poissons ! Le partage d’information concernant la planification de pareilles pratiques phytosanitaires nous a permis par la suite de dévier ces eaux afin de protéger notre exploitation piscicole ...même si la compagnie bananière fut obligée de traiter leurs eaux de rejet avant de pouvoir les verser dans la rivière.

     Cela s’est fait bien sûr à notre insu, mais nous aurions éviter une grosse partie de cette contamination si nous avions pu détecter quelques anomalies en effectuant des analyses routinière sur les eaux utilisées.

     Ces analyses spécifiques1 portent sur un nombre de paramètres physiques, chimiques et biologiques.

(1) Relation entre la qualité de l’eau et la production de poissons :

Température (de l’eau)

     Paramètre majeur qui a tout intérêt à rester stable pour son influence sur de nombreux autres facteurs, qu’ils soient chimiques ou biologiques. Il faut dire que beaucoup de réactions doublent pour chaque élévation de 10°C de l’eau. Par exemple, les organismes aquatiques utiliseront deux fois plus d’oxygène dissous à 30°C comparé à 20°C ; de même, beaucoup de réactions chimiques seront deux fois plus rapides à 30°C comparé à 20°C. La chaleur entre par la surface de l’eau et il se forment bien souvent des stratus (couches) dans « l’épaisseur » (hauteur, profondeur) de l’étang. On parle alors de stratification avec une « couche » supérieure d’eau plus chaude (plus légère d’un point de vue densité), appelée épilimmion, et d’une « couche » inférieure plus froide (plus lourde), appelée hypolimnion. Entre les deux, on observe une »couche appelée thermocline dans laquelle les eaux se refroidissent ou s’échauffent. Ainsi, lacs et étangs prennent plus particulièrement ces états au printemps pour disparaître progressivement en automne.

     En région tropicale, lacs et étangs peuvent chaque jour varier dans ces dispositions et mélanger leurs couches, pour la nuit redevenir uniformes. Une littérature abondante peut être trouvée facilement sur ce sujet important de la limnologie.

     En région tempérée, lors de températures estivales excessives, lorsque des poissons ou crevettes (comme les nôtres) ont trop chaud à la superficie des étangs (claires), ils vont se réfugier dans le fond de ceux-ci. C’est la raison pour laquelle il faut conditionner les eaux par au minimum de 1 à 1,2 M de profondeur. Ceci avait été réalisé chez AQUIDEAS lors de la remise en état de la ferme il y a plus de 20 ans.

     Il est important de noter que lorsque vous transférez des post-larves de crevette dans les étangs (claires), il ne faut pas les passer soudainement au-delà d’une température ± 5°C ...elles n’y résisteraient pas (mortalité massive) ...que souvent vous ne constaterez qu’en fin de grossissement !

     En région tempérée, c’est aussi le cas de poissons et crustacés adultes (comme des géniteurs) que l’on transfère soudainement de la montagne à la plaine avec parfois des écarts important de plus de 5°C : le stress de ces animaux sera bien réel et bien de ces animaux ne survivront pas si le transfert ne se fait pas moyennant certains paliers d’adaptation.

Salinité

     Le terme « salinité » se réfère ici à la concentration totale de tous les sels dissous dans l’eau naturelle, exprimée en mg/L (ou ppm = part par million). La pression osmotique de l’eau augmente avec la concentration en sels. Elle est aussi relativement importante pour l’espèce d’élevage. C’est aussi la raison pour laquelle la plupart des crevettes et poissons de mer ne peuvent être transférés dans un milieu d’eau douce et vice versa. Peu d’espèces sont même capables de le faire et encore ...progressivement, comme les saumons, anguilles & tilapias.

     Cependant quelques espèces peuvent tolérer et même devoir passer par une période dans une eau saumâtre (salinité moindre que celle de la mer) pour pouvoir se reproduire et assurer la période de développement larvaires ou d’alevinage. Tel est la cas des crevettes impériales(Penaeus japonicus) et de la chevrette (Macrobrachium rosenbergii) qui pour se reproduire ont un passage obligé dans les estuaires (eau saumâtre), la première issue de la mer (eau marine), la seconde issue des rivières (eau douce)2.

     Le sodium (Na) représente l’ion principal de la concentration en sels et donc peut, par l’évaluation de sa concentration, donner une approximation de cette concentration totale. Cette observation se fait grâce à l’usage d’un réfractomètre.

Réfractomètre avec son écran de lecture pour la salinité

     Lorsqu’il pleut beaucoup (comme c’est le cas en automne en Charente Maritime), les eaux deviennent beaucoup plus douce et, par exemple, les huîtres (Crassostrea gigas, Ostrea edulis) peuvent même expérimenter de la mortalité lorsqu’on les affine longuement en claires. Par contre, en période de sécheresse, on assiste à une évaporation active des étangs (signifiant une hausse de salinité dans l'eau) et les huîtres peuvent retarder leur croissance. Elles peuvent même former des ampoules d’aspect sombre à l’intérieur de leurs coquilles - se remplissant alors de gaz - qui lorsqu’on les perfore (avec un couteau à l’ouverture) donne un très mauvais goût à la chair.

Turbidité et couleur

     La turbidité de l’eau est le résultat du chargement de particules (essentiellement organiques → phytoplancton3) qui, si trop chargées, ne permet plus de laisser passer la lumière. Elle est généralement mesurée par le disque de Secchi qui en s’enfonçant dans l’eau ne permet plus à une profondeur de différencier le contraste entre les quarts alternés peints en noir et blanc du disque. A cette distance, on mesure la longueur de la corde qui le retient. Pour beaucoup d’espèces, l’idéal est que cette mesure reste entre 30 et 60 cm.

     D’autre part, la couleur est dépendante de l’accumulation d’humates (dépôts acides) de particules végétatives qui assombrit l’eau de l’étang. Si cet apport est exagéré la couleur de l’eau devient trop sombre et le phytoplancton ne peut plus s’y développer. La chaux agricole peut solutionner ce problème.

Plancton

     Le plancton est très dépendant des particules inorganiques pour se former et de la vitesse à laquelle il se fait manger par les espèces herbivores et omnivores. Il s’agit d’une balance qui peut être favorable ou défavorable pour sa densité dans l’eau de l’étang ou du lac.

     Trop de plancton peut amener un manque d’oxygène en fin de nuit, car durant cette dernière il en consomme par l’absence de lumière. Cela peut être dangereux pour l’espèce élevée au levé du jour ...que l’on constate généralement vers 6h du matin au moyen d’un oxygénomètre.

     Trop de plancton peut aussi parfois se décomposer et occasionner une déplétion d’oxygène. Ceci est même parfois fatal pour l’espèce élevée. De plus, trop de plancton peut occasionnellement provoquer de très fortes odeurs/saveurs inappropriées dans la chair des poissons une fois traités pour leur commercialisation. C’est ce que l’on appelle en anglais les « off-flavors » que l’on doit absolument éviter et qui masque la véritable saveur des poissons.

     Les éléments essentiels pour produire du phytoplancton incluent le carbone (C), l’oxygène (O), l’hydrogène (H), le phosphore (P ; qui régule surtout la croissance en étang), le nitrogène (N ; azote), le soufre (S), le potassium (K), le sodium (Na), le calcium (Ca), le magnésium (Mg), le fer (Fe), le manganèse (Mn), le cuivre (Cu), le zinc (Zn), le bore (B), le cobalt (Co), le chlore (Cl) et possiblement d’autres.

     Dans des étangs pauvres en phytoplancton, quelques-unes de leurs sources peuvent provenir de fertilisants inorganiques à base de phosphates et engrais organiques comme le purin (lisier) en quantités modérées.

Références :

  • Diseño de alimentos suplementarios para Tilapias, Investigacin y desarrollo pisccola, ASBANA, N°16, 1982.

  • Feeds and feeding, abridged, Morrison F.B., The Marrison Pub. Co, Clinton, Iowa, 1961.

  • merriam-webster.com

  • Predicting early morning dissolved oxygen concentration in channel catfish ponds, Boyd C.E., R.P. Romaire and E. Johnston, Trans. Amer. Fish. Soc., 1978.

  • sodimate.fr

  • Water quality in warmwater fish ponds, C.E. Boyd, Dept. of Fisheries & Allied Aquacultures, Auburn University, USA, 1979.

  • Water quality management in pond fish culture, Research and Development Series N°22, Auburn University, USA, 1982.

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1 Pour éviter une lecture fastidieuse, il sera question dans chacune de ces analyses de mentionner plus les propriétés importantes que les valeurs optimales souhaitables. Toutefois, le praticien devra forcément connaître les limites entre lesquelles il pourra mener à bien son élevage aquatique. Nous pourrions l’y aider avec nos expériences s’il en exprime le souhait.

2 C’est la raison pour laquelle en écloserie, on descend ou monte la salinité pour pouvoir développer les stades larvaires et obtenir les post-larves. Après avoir remonté ou rabaissé la salinité, on peut ensuite passer les juvéniles dans les étangs de grossissement (engraissement).

3 Les cellules du phytoplancton sont intéressantes jusqu’à une certaine densité, car il s’agit d’un aliment. Par contre, si la densité est trop importante, l’eau doit être diluée étant donné que le phytoplancton consomme également de l’oxygène au détriment des poissons. Mais s’il s’agit d’une turbidité occasionnée par la suspension d’argile (boue/vase), elle est à proscrire, car elle peut nuire à l’espèce élevée dans le sens qu’elle limitera le développement de phytoplancton et de végétaux en empêchant la lumière de faire fonctionner le processus chlorophyllien.

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