Pêches, sécurité alimentaire et pauvreté

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     Le secteur de la pêche et de l’aquaculture contribue à l’amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition humaine. Sur certains continents, son apport en nutriments peut effectivement jouer un rôle important dans les familles ayant un accès plus difficile aux commodités de la vie.

     Il faut en effet considérer les retombées sur certaines populations défavorisées, en particulier les plus démunies ou vulnérables ..ceux qui font face à la malnutrition. Car les pauvres peuvent aussi faire de la pêche une source importante pour leur diète et revenus complémentaires !

     En ce qui concerne le déclin (effondrement) de certaines espèces de poissons, on a déjà beaucoup écrit sur le sujet, mais le monde prend doucement conscience qu'il faut agir pour assurer la durabilité des pêches ...surtout sur le long terme. Dans les mers et lacs, on impose notamment des quotas de prélèvement (quantités maximales pêchées) et on ferme des saisons pour permettre aux espèces de se reproduire et grossir un minimum. C'est une façon de pouvoir pérenniser cette belle manne aquatique!

     Par contre, l'accès à cette ressource n'est pas toujours bien compris par une partie des occupants de notre planète. En effet, beaucoup ne ressentent pas la grande nécessité de ceux qui en dépendent directement pour leur survie !

     Dans les pays plus aisés où les revenus moyens et supérieurs sont plus stables, le pouvoir d'achat permet de se procurer du poisson sans trop de difficulté. Par contre dans les communautés où le revenu est faible, irrégulier, voir inexistant, on doit souvent faire des choix de priorité. L'accès aux produits de la mer revête alors une énorme importance étant donné qu'il peut palier à la malnutrition.

     Dû à ces qualités nutritionnelles, les produits de la mer apportent d'excellentes protéines1 pour la croissance et contient des acides aminés essentiels à la santé humaine, comme la lysine et la méthionine. Ils offrent des vitamines A, B et D qui contribuent à réduire les risques de déséquilibre pouvant conduire à cette malnutrition. En plus, beaucoup de poissons gras fournissent des acides gras ω3 (oméga 3 à longues chaînes) qui sont essentiels à la santé, particulièrement dans notre développement au début de la vie.

     Toutefois, la capture de poissons marins ne suit pas souvent la demande. Le contrôle plus exacerbé des pêches entraîne forcément une diminution de poissons sur le marché. Et si la demande est forte, cela engendre une hausse des coûts. Une dépense en hausse a souvent une influence sur les populations à faible revenu, car ces dernières dépendent parfois fortement des produits de la mer pour leur diète. Dans quelques cas, cette situation peut même aboutir à de très sérieuses conséquences.

     Selon plusieurs organisations internationales, les tendances générales du commerce mondial concernant le poisson sont mitigées. Ces dernières années, l'analyse montre une augmentation en volume et on évalue l'ensemble des pêches et aquacultures autour de 175 millions de tonnes métriques/an. Par contre, on assiste à une stagnation du chiffre d'affaire, avec des exportations de l'ordre de 140 milliards d'euros. Entre 2017 et 2018, il y eût une hausse de 2,5% dans la production mondiale (totale), alors que sa valeur avait baissé de plus de 3,6% ! (Tableau 1 ci-après).

Tableau 1: Pêche & aquaculture dans le monde - production & utilisation du poisson (en millions de TM*)

Catégorie 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018** 2019**
PRODUCTION                  
   Pêche                  
      Marine 81,5 78,4 79,4 79,9 81,2 79,3 79,0 79,5  
      Continentale 10,7 11,2 11,2 11,3 11,4 11,6 11,7 12,3  
Sub-total  92,2 89,6 90,6 91,2 92,6 90,9 90,7 91,8 91,3
   Aquaculture                  
      Continentale 38,6 42,0 44,8 46,9 48,6 51,4 51,9 53,3  
      Marine 23,2 24,4 25,4 26,8 27,5 28,7 30,0 31,8  
Sub-total  61,8 66,4 70,2 73,7 76,1 80,1 81,9 85,1 86,5
TOTAL  154,0 156,0 160,8 164,9 168,7 171,0 172,6 176,9 177,8
VALEUR COMMERC. (export.; 109 euros)       108,355 116,610 126,131 142,534 137,301 143,228
UTILISATION                  
Consom.alim.tot. 130,0 136,4 140,2 144,9 148,4 151,3 153,2 155,7 158,2
Usage non-alim. 24,0 19,6 20,6 20,0 20,3 19.7 19,4 21,2 19,6
Populat.(109 hab.) 7,041 7,126 7,211 7,295 7,380 7,464 7,548 7,631 7,713
Conso.an/hab(Kg) 18,463 19,141 19,443 19,863 20,108 20,271 20,297 20,404 20,511

* TM = tonnes métriques   ** Estimés

Plusieurs explications sont à la source de ces observations :

  • On a d'abord constaté un déclin dans la capture de certaines espèces (cas des anchois notamment au rou; diminution de saumons, tilapias et pangasius au Vietnam), même si les produits aquacoles ont le vent en poupe (en 2018, les pêches et aquacultures étaient estimées respectivement à 92 et 85 millions de TM; voir tableau précédent).
  • On assiste au recul des rentrées (dues aux exportations) causées en partie par un dollar US plus fort: en 2019, les exportations de la République Populaire de Chine, d'Inde et de la Thaïlande se sont réduites fortement dû à certaines difficultés; par contre, celles du Vietnam ont été énormes en volume, car les prix avaient chuté de 35%.
  • Beaucoup de commerçants manquaient de visibilité à cause d'un futur incertain: en 2019, beaucoup de ventes de produits de la pêche étaient peu assurées dû à la volatilité des prix ...causée par de grandes variations dans les quantités pêchées et l'instabilité des marchés; il y eût également de nombreuses tensions géopolitiques dans les compétitions économiques; enfin au début de 2020, il y eu l'impact (véritable frein) du Corona virus; mais si la demande repart à la hausse, les prix regrimperont fort probablement aussi !
  • Une prise de conscience a été observée ces dernières années chez les consommateurs qui se sont repositionnés pour protéger l'environnement face à des pratiques industrielles peu respectueuses.

     Il est à noter qu'en 2017 les pays industrialisés importaient beaucoup plus de poissons qu'ils n'en exportaient: 70,6% vs 29,4% respectivement (tableau 2 ci-dessous). Par contre pour la même année, les pays plus démunis exportaient le double de poissons qu'ils n'en importaient: 77 vs 39 milliards d'euros respectivement. Pourtant, les productions en volume (captures halieutiques essentiellement) ont été presque 5 fois plus importantes dans ces pays à moindre revenu. Cela montre qu'il y a bien un courant depuis les pays plus faibles en termes de pouvoir d'achat vers ceux plus nantis.

Tableau 2: Production et commerce du poisson par régions et mouvements en 2017

 

Production

(103 TM*)

%

Exportations

(milliards d'€)

Importations

(milliards d'€)

Mondiale 172.6 100 142.534 (100%) 133.335 (100%)
   Eaux marines 109.0 63.15 - -
   Eaux continentales 63.6 36.85 - -
Pays industrialisés 29.3 16.97 65.5 (45.94%) 94.1 (70.56%)
Pays les moins développés 13.7 7.94 3.3 (2.30%) 1.1 (0.82%)
Autres pays 129.6 75.09 73.8 (51.76%) 38.2 (28.62%)

 * TM = tonnes métriques

     Ainsi, les pays pauvres voient plus d'intérêt à vendre via le biais de l'exportation, alors qu'ils pourraient probablement développer leurs propres marchés internes (nationaux) pour éradiquer la malnutrition dans leurs communautés défavorisées. On assiste donc à un conflit d'intérêts entre exportations et consommation domestique, même si ce lien apparent est beaucoup plus compliqué que cette vue un peu simpliste.

     Il faut reconnaître que les coûts de production, essentiellement la main-d’œuvre, sont nettement inférieurs dans les pays non-industrialisés. De plus dans ces pays, la direction appartient parfois à de grosses multinationales qui défendent des positions qui ne vont pas toujours dans l'intérêt des populations autochtones !

     Mais pour les pays à moindre revenus qui pêchent ou produisent, c'est aussi la valeur monétaire des échanges - en devises fortes - qui va dans ce sens pour assurer des rentrées intéressantes. Les bénéfices peuvent donc faire l'objet d'une convoitise particulière de la part de certains groupes politiques nationaux. Par conséquent, ces encaissements économiques (en devises fortes) ne retombent pas toujours dans dans l'économie locale qui produit l'effort de pêche. Et il n'y a rien de plus frustrant que de constater que des projets de développement ne peuvent aboutir, car l'argent qui était destiné pour les financer ...n'arrive pas ou n'est pas affecté à la bonne cause2 ! La difficulté réside dans le fait que les populations plus fragiles ont malheureusement bien peu de poids pour imposer leur volonté face à des politiques décomplexées aux pleins pouvoirs !

     Ainsi, le système politico-économique prend une grande responsabilité surtout si l'on observe des prises de positions et privilèges inappropriés pouvant aller à l'encontre de concitoyens qui peinent pour survivre. Car à côté des écoles et du système social, il faut également considérer le développement d'un réseau routier et de marchés nouveaux afin de désengorger les régions moins favorisées. Enfin, il y a aussi le droit à la propriété pour les plus démunis ...là où on les trouve.

     Ce qui est également préoccupant dans ces pays à pouvoir d'achat plus restreint est le fait que le succès d'une telle organisation à l'exportation conduit aussi de temps en temps à des abus (exagérations) menant à la baisse considérable des matières premières locales. Cela entraîne des déséquilibres naturels et souvent de sérieux conflits humains concernant notamment des espèces de poissons qui présentent un intérêt particulier dans les pays demandeurs (industrialisés).

     Il faut donc également tenir compte de la survie au jour le jour du petit pêcheur indépendant ou isolé vivant des produits de sa pêche.

    Au tableau 3, on observe cependant que la consommation alimentaire de poisson en Afrique et Amérique Latine ont augmenté respectivement de 65,8 et 22,4% sur une dizaine d'années. En 2016, ces deux régions moins favorisées montrent toutefois des apports annuels par habitant nettement inférieurs au reste du monde: respectivement 9,9 et 10,4 Kg/habitant vs plus de 21 Kg/habitants !

Tableau 3: Evolution de la consommation de poisson par an/habitant/régions de 2005-2016

  Consommation alimentaire totale (106 TM)* Apport annuel par habitant (Kg)
  2005 2016 2005 2016
Mondiale 107,0 151,3 16,4 20,3
Afrique 7,6 12,6 8,3 9,9
Amérique Nord** 7,1 8,9 21,7 22,1
Amérique Latine 5,8 7,1 8,4 10,4
Asie 70,5 105,1 17,9 23,1
Europe 15,2 16,5 20,8 21,5
Océanie 0,8 1,1 24,5 24,3

 * TM = tonnes métriques   ** Canada + USA

     Il faut enfin noter qu'il y a plusieurs manières de commercialiser le poisson (tableau 4), mais l'Afrique et l'Asie mettent sur le marché surtout du poisson sous forme vivante, c'est-à-dire à l’état frais. En Chine et Asie du Sud-Est, on manipule même le poisson vivant depuis plus de 3 000 ans et leurs pratiques sont donc ancrées dans des habitudes traditionnelles. En Afrique, la pratique est beaucoup plus orientée vers le salage, séchage ou fumage par rapport à la moyenne mondiale.

Tableau 4: Formes de consommation du poisson en 2017

  Produits frais 51.9%
  Congélation 29.9%
  Séchage, fumage, salage, fermentation 9.7%
  Conserves 8.5%
  (100%)

     Dans les pays non-industrialisés où l'on pêche de plus en plus, la congélation du poisson n'arrête pas de prendre de l'importance: 3% entre 1960-70, 8% entre 1980-90, 26% en 2016, 30% en 2017.

     Mais les produits de la mer sont également transformés en bien d'autres produits d'intérêt commercial. En voici les principaux débouchés:

  • Il y a d'abord la transformation des produits de la pêche en farine de poisson3 et huile de poisson4. Les espèces de poisson utilisées pour l'obtention de farine et huile sont généralement peu utilisées pour la consommation humaine directe.
  • Il y a aussi le poisson ensilé5 qui est un produit de remplacement moins coûteux à la fabrication et qui semble de plus en plus utilisé comme additif, notamment dans l'alimentation des poissons d’élevage et animaux terrestres.
  • La peau de certains poissons6 peut également servir à la confection de cuir de qualité à usage multiple (la photo qui suit vous donne un aperçu de cette application à base de tilapias, présentées à l'auteur en Érythrée/Afrique et au Paraguay/Amérique du Sud).

  • Dans certains pays, les coquilles d’huîtres sont récupérées comme matériau de construction et servent aussi à produire de la chaux vive (oxyde de calcium).
  • Les dents de requins, coquilles de pectens7 et de moules sont utilisés pour la fabrication d’objets d’artisanat, de bijoux et de boutons.
  • Des algues marines sont également utilisées pour l’alimentation humaine en Chine, Corée et au Japon. Elles servent aussi pour en extraire des agents épaississants (alginate, gélose). Certaines d'entre elles font même l'objet d’un intérêt croissant, du fait de la richesse de ces plantes en vitamines et minéraux, ainsi qu'en protéine d’origine végétale. Plusieurs boissons et aliments aromatisés aux algues (comme les crèmes glacées) commencent à faire leur apparition.
  • L'industrie pharmaceutique, des cosmétiques et agro-alimentaire (biotechnologies) regardent de plus en plus favorablement toutes ces ressources aquatiques (surtout issues des océans) dont on peut extraire des enzymes protéolytiques, collagènes, lipases, gélatines, pigments (caroténoïdes, astaxanthines), oligo-éléments et encore bien d'autres éléments dont les procédés d'extraction s'affinent au fil du temps.

     Dans les pays plus chauds, l'aquaculture traditionnelle a aussi souvent des résultats positifs: elle permet de diversifier les revenus, améliore la sécurité alimentaire et s'intègre généralement mieux dans l'environnement. Par exemple, des associations permettent d'utiliser les retombées d'une activité pour en développer une autre complémentaire ...sans aucun apports (la plupart du temps industriels) extérieurs ! C'est le cas de l'intégration piscicole en riziculture sous eau ...moyennant certaines adaptations: le réseau entre les plants de riz alimente les poissons et ces derniers fertilisent par leurs déjections le champ de riz. Le tout est d'éviter l'intensification des rendements des deux côtés. Nous sommes évidemment très loin de ces énormes productions dont les chiffres impressionnent tellement ...nos économistes et observateurs. Mais l'enjeu est tout autre: il vise avant tout un équilibre environnemental plus harmonieux entre les êtres humains et la nature.

     En revanche, la consommation accrue de poisson d’eau douce (aquaculture continentale) a pour conséquence que les produits alimentaires aquatiques apportent moins d’acides gras oméga 3. Par conséquent, les pêches par capture en mer (en tout cas artisanales côtières), restent un élément important en matière d'apport de nutriments spécifiques pour les populations plus fragiles.

     La contribution du poisson est indéniable en matière de sécurité alimentaire et nutrition humaine. Mais, n'est-il pas essentiel d'en assurer la disponibilité et apporter ainsi plus de sérénité aux peuples qui sont réellement dans le besoin !?

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1 Il est à noter qu'une portion de 150 g de poisson couvre généralement 50-60% des besoins journaliers en protéines d'un adulte.

2 Expérience vécue à plusieurs reprises.

3 Obtenue par broyage et séchage de poissons ou de parties de poissons.

4 Issue du pressage de poissons cuits, suivie d’un processus de centrifugation et de séparation.

5 Obtenu à partir de poissons entiers ou sous-produits auxquels on ajoute un acide comme agent de conservation qui

ensuite permettra aux enzymes présentes dans le poisson d'hydrolyser les protéines (dégradation pour l'obtention des

acides aminés de base qui seront ensuite utilisés par notre métabolisme).

6 Parmi ceux utilisés, citons le requin, saumon, lingue, morue, tilapia, carpe et bar.

7 Coquilles Saint-Jacques et pétoncles.

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Références:     Documents internes (bibliothèque personnelle)

                       Fishery and aquaculture statistics, FAO, 2017

                       Global Consumer Survey-Statista Enterprise, 2020

                       Greenfacts (https://www.greenfacts.org/en/fisheries/figtableboxes/9.htm)

                       Information & analysis on world fish trade, GlobeFish, FAO, 2020

                       Programme alimentaire mondial (PAM), Fond international du développement agricole (FIDA), FAO, 2015

                       Situation mondiale des pêches et de l'aquaculture, FAO, 2018

 

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