Gestion de la qualité de l’eau en aquaculture (III)

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(Section 3 de 3)

(2) Gestion de la qualité de l’eau :

Engrais inorganiques

     Ils sont tous issus de l’industrie. Durant plusieurs années, nous les avons expérimentés. Toutefois, depuis une vingtaine d’année, nous nous sommes résolument tournés vers du plus naturel. En effet, rien ne remplace ce que la nature vous propose ...si bien entendu vous êtes observateur, déduisez de vos constats, n’exagérez rien et surtout ne l’abîmez pas !

     Si toutefois vous devez opter pour certains engrais industriels (à base de roches/minéraux), il est bon de vous mentionner ce qui suit :

     (a) En agriculture, la plupart des engrais inorganiques sont classés selon la proportion de leur composants primaires, à savoir le nitrogène (l’azote ; N), le phosphore (P ; dans la molécule P2O5) et le potassium (K ; dans la molécule K2O ; la potasse). D’autres composants, dits secondaires peuvent compléter pour influencer la composition. Parfois, certains de ceux-ci prennent une grande importance, comme le triple superphosphate (autour de 50 % de P2O5).

     (b) En pisciculture de plaine (couverture herbeuse), il n’y a pas vraiment de besoin pour fertiliser les eaux. Par contre, en terres forestières, on utilise principalement (mais de façon modérée) le triple superphospate qui aide le phytoplancton à se développer. Souvent, les plantes aquatiques libèrent plus difficilement le phosphore qui reste un élément limitatif dans l’eau.

     (c) La fertilisation des eaux est en général réalisée en plusieurs applications.

     (d) On peut aussi prendre la méthode agricole et faire analyser par un laboratoire pédologique la composition de la vase du fond des étangs (comme on le ferait avec le sol devant supporter un type de culture). Puis, on se base sur le résultat pour corriger le(s) manquement(s). Par la suite, l’évaluation du rendement peut se faire grâce au disque de Secchi. Cette façon de procédé est plus rapide que d’attendre le résultat de quelques récoltes de poissons.

     (e) Enfin, il est fortement recommandé de mettre le fertilisant inorganique dans un sac en toile, soit suspendu à un support (plusieurs piquets/poteaux), soit placé sur une petite plateforme submergée à au moins 30 cm du fond. De cette manière, l’eau de l’étang par ses mouvements/courants tranquilles profite bien de ses apports externes (au lieu d’en faire bénéficier la vase du fond).

Engrais organiques

     Le tableau suivant vous montre que les engrais organiques sont plus pauvres que ceux inorganiques

     Le problème auquel il faut faire attention réside dans le fait qu’en trop grandes quantités l’eau peut s’appauvrir considérablement en oxygène dissout. Ceci est en relation avec la qualité de l’eau, du type organique à votre disposition et aussi de l’espèce piscicole considérée. Donc, il faut procéder par paliers (avec prudence) et observer/analyser leurs effets.

     Dans nos sociétés modernes, beaucoup d’appréhension tourne autour de cette source de fertilisation qui comprend les déjections de nombreux animaux et les produits de décomposition/fermentation végétale (composte). Malgré les dire de nos corps de métiers tournées vers l’hygiène, l'inspection, la prévention et la prophylaxie, nos aïeux dans leurs anciennes campagnes utilisaient beaucoup ces processus peu coûteux puisqu’il s’agissait d’un recyclage de déchets (by-products, en anglais) provenant de leurs élevages professionnelles. Pourtant, ils en expérimentaient les nombreux bienfaits tout en limitant leur usage si le matériau de base était contaminé par des animaux malades ou si les végétaux semblait inappropriés.

     Malheureusement, notre époque a beaucoup perdu des connaissances d’antan concernant cette science de terrain qui produisait tout de même leurs résultats. Toutefois (point important), ils ne poussaient pas leurs productions aux extrêmes ...comme aujourd’hui ...pour satisfaire une demande toujours plus importante (relativement irresponsable) ...devant être à tout pris rentable d’un point de vue purement comptable afin de pouvoir assumer les (trop) nombreuses préhensions intermédiaires.

Chaulage

     Le phytoplancton se développe difficilement dans une eau ayant une alcalinité totale pauvre (c’est-à-dire une eau acide) par inadéquate concentration de dioxyde de carbone (CO2) et bicarbonates. L’addition de chaux agricole [ CaMg(CO3)2 ]1 , mais à très fines particules (Ø < 0,025 cm), peut dans la plupart des cas corriger ces eaux acides. Il est à noter que le sulfate de calcium (le gypse agricole ou CaSO4.2H2O) ne convient pas comme matériau de chaulage.

     Lorsque l’alcalinité totale des eaux est supérieure à 20 mg/L, on obtiendra généralement une bonne production de poissons. Il n’y a pas de besoin de chauler l’étang.

     Par contre, lorsque cette alcalinité totale descend en-dessous de 15 mg/L, on fera une première application et si un à deux mois plus tard elle n’est pas encore corrigée, on réappliquera une nouvelle dose moins importante. Il faudra toutefois veiller au coût de cette chaux comparativement au gain de croissance du poisson, car elle peut alors devenir anti-économique.

     Entre 15-20 mg/L, l’alimentation peut fréquemment corriger le problème.

     A 10 mg/L, l’étang ne peut obtenir une bonne production piscicole si on ne chaule pas ses eaux.

     Le chaulage peut donc remédier en améliorant/augmentant le pH. L’eau étant moins acide, on obtient une meilleure disponibilité/libération du phosphore de la vase du fond de l’étang. De plus, la chaux rend disponible le carbone pour la photosynthèse en augmentant l’alcalinité de l’eau.

Élimination de la turbidité de la glaise

     La turbidité de la glaise est différente de celle de la lumière et empêche le phytoplancton de se développer. Il y a deux façon de solutionner le problème :

     Le premier est d’appliquer de la matière organique qui fera précipiter dans le fond de l’étang toutes ces particules d’argile en suspension. A cet effet, on peut utiliser du fumier frais, du foin (bottes désarmées) ou encore de la farine de semence de cotton avec un complément de superphosphate. Mais avec cette vieille méthode, il faudra attendre plusieurs semaines pour en voir l’effet.

     Le second (recommandable) est d’utiliser une sorte de filtre d’alun [ sulfate d’aluminium ou Al2 (SO4)3·14H2O ] qui va provoquer la coagulation des particules de glaise qui vont précipiter en quelques heures à peine. Cela doit être appliqué très rapidement au moyen d’un pulvérisateur étant donné qu’il faut l’appliquer par temps sec et calme étant donné que le vent et la pluie vont casser la floculation empêchant les particules de se déposer sur le fond.

     Il est conseillé de chauler en même temps avec de l’hydroxyde de calcium [ Ca(OH)2 ], car l’alun a une réaction acide avec l’eau et donc fait baisser le pH et réduit l’alcalinité.

     Enfin, il faut savoir que l’alun n’élimine jamais la cause de cette turbidité. Le problème doit être solutionné en amont en prévenant par exemple qu’il y ait des ruissellements provenant de la colline qui aboutissent dans l’étang . On doit alors faire dévier ses eaux de ruissellement afin qu’elles ne dérangent plus l’étang.

Réduction du pH

     L’application de fertilisant à base de sulfate d’ammoniaque peut réduite le pH des eaux d’un étangs, car l’ion d’ammoniaque se nitrifie en nitrate en émettant un ion d’hydrogène qui abaissera le pH.

     Cependant lorsque le pH est très élevé, un important pourcentage d’ion ammoniaque appliqué à un étang va directement être transformé en ammoniaque non-ionisé qui est très toxique pour le poisson.

Oxygène dissous

     Beaucoup de baisses d’oxygène pour le poisson proviennent d’une densité exagérée (bloom) de phytoplancton. Par conséquent, il est très importante d’utiliser le disque de Secchi si les poissons reçoivent une intensive alimentation artificielle, car celle-ci favorise généralement le développement de ce bloom. Si le disque donne 25 cm ou moins, pour éviter tout stress et une éventuelle mortalité nocturne, il y a urgence de diluer l’eau en ouvrant la vanne fournissant l’eau à l’étang.

     La façon la plus efficace de réoxygéner un étang est de disposer d’aérateurs mécaniques de surface, comme de petits aérateurs « spray », de roues à palettes/auges, ou d’injecteurs à air (microbullage). Des pompes à eau peuvent également servir pour recycler l’eau en la projetant en l’air de manière à ce qu’elle retombe oxygénée sur la surface.

     C’est au levé du jour, que l’oxygène dissout est au plus bas. Par conséquent, il est important de les faire fonctionner à ce moment particulier pour remédier à cette baisse. Le graphique suivant permet d’évaluer grossièrement la tendance en n’en connaissant que deux prises de concentration d’oxygène au début de la nuit.

Alimentation des poissons et qualité de l’eau

     En règle générale, la production de poissons augmente linéairement avec l’intensité de l’alimentation pendant que la qualité de l’eau se détériore exponentiellement avec cette même intensification alimentaire.

     Par conséquent, il faut toujours faire attention à ne pas exagérer cette alimentation qui non seulement en partie pourrira le fond de l’étang (tout ce qui n’est pas consommé par les poissons2) et qui peuvent, par leur décomposition, être responsable d’une baisse considérable d’oxygène dissout.

Contrôle de plantes aquatiques

     Il y a bien entendu le faucardage (c’est_à-dire la coupe mécanique) qui est toujours souhaitable face aux herbicides qui ont tous des effets rémanents dans les sol et sous-sol. Le problème est qu’il faut l’effectuer lorsque l’étang est mis à sec.

     Mais il y a d’autres méthodes biologiques pouvant tout aussi bien convenir. En développant un phytoplancton adéquat, vous empêchez la lumière de pénétrer en profondeur et ainsi les macrophytes ne parviennent plus à se développer. C’est ce que nous réalisons chaque année dans nos étangs afin de les conditionner au mieux avant l’introduction de nos crevettes impériales et huîtres à affiner.

     L’introduction de carpes herbivores est un autre moyen d’éradiquer les macrophytes, car ce sont de grandes dévoreuses de ces végétaux.

     Dans le temps, on utilisait également des herbicides, comme les algicides à base de sulfate de cuivre et les synthétiques comme le Diuron [ l’urée 3-(3, 4 dichlorophényl)-1, 1-diméthyl ] et la Simazine [ la triazine 2-chloro-4, 6-bis (éthylamino)- ] dont la toxicité étaient relativement faible pour les poissons. Mais des analyses précises au laboratoire ont montré de légères traces résiduelles dans la chair-même des poissons issus de ces étangs traités. Cela faisait disparaître non seulement les macrophytes, mais le phytoplancton mourrait également ...ce qui était moins intéressant ! On découvre ainsi de plus en plus que les poissons ne sont pas tout-à-fait indemnes de tous ces produits chimiques. Enfin après application, on observe dans bien des cas une baisse d’oxygène dissout dans l’eau qui perdure et affecte les poissons surtout s’ils sont produits à fortes densités et qu’ils reçoivent une alimentation soutenue.

     Par conséquent, une telle pratique n’est plus à conseiller pour une question évidente.

Calculs pour le traitement chimique

     L’intention ici n’est pas de rentrer dans le détail de façon à déterminer précisément tel ou tel autre traitement. Le plus important (comme ...avant-goût) est de vous décrire quelques principes de base qui paraissent essentiels et dont il faut tenir compte. Comme dans bien d’autres professions, un(e) aquaculteur(/trice) doit être capable de savoir calculer pour déterminer une concentration correcte adaptée à son étang en particulier.

     La première mesure à connaître est l’estimation du volume en eau que contient l’étang à traiter : surface totale x profondeur moyenne (à exprimer en M³).

     Il faut réaliser que 1g/M³ est équivalent à 1mg/L

     Tenir compte de la concentration du produit de traitement (sulfate d’aluminium, chaux, etc.) à obtenir pour l’appliquer sur l’étang. Cette recommandation est renseignée par le fabriquant sur l’emballage et doit être exprimée en mg/L. Si elle exprimée en d’autres unités, convertir pour aboutir aux mg/L.

     Chaque mètre cube (M³) doit contenir la concentration de produit recommandée pour être efficace. Par conséquent, il faut multiplier le nombre de M³ d’eau par la concentration recommandée.

     Toutefois, si le produit à appliquer n’est pas pur, c'est-à-dire qu’il ne contient qu’un pourcentage de matière active, il faudra en tenir compte et corriger le résultat obtenu.

(3) Analyse d’eau :

Kits d’analyse d’eau

     Ils sont très importants, car ils permettent avec peu de moyens (eau, réactifs) de se faire une idée plus précise sur certaines concentrations devant osciller entre des limites acceptables afin de permettre une croissance animale dans les meilleures conditions possibles. Ces analyses permettent également de prendre des décisions de gestion.

     Les principales sont normalement le pH, l’alcalinité totale, la dureté totale, la teneur en oxygène, le dioxyde de carbone, et l’abondance du plancton. Ces kits sont offerts à des prix raisonnables comparés aux coûts demandés par les laboratoires spécialisés.

     Tous ces kits d’analyse sont facilement transportables, légers et de manipulation aisée. Les kits les plus répandus dans le monde proviennent de la Hach Chemical Company of Ames (Iowa) et Loveland (Colorado) aux USA. Ils sont établis sur la base des manuels de références standardisées pour l’analyse de l’eau en laboratoire. C’est notamment le cas du Standard Method for Examination of Water and Wastewater3, que la plupart des aquaculteurs utilisent un peu partout dans le monde.

     Il y a bien sûr d’autres compagnies produisant d’excellents kits d’analyse d’eau, mais elles sont toutes beaucoup moins importantes et surtout moins connues au niveau international.

     Enfin, des comparatifs de résultats entre kits et analyses standards (au laboratoire) ont montré qu’ils restaient dans bien des cas relativement proches.

Kit pour aquaculture en eau douce...                                         

                                                                            ...kit pour eau salée.

Échantillonnage d’eau

     Il est important de mentionner que pour analyser l’eau, il faut parfois prélever des échantillons ne devant avoir aucun contact avec l’air à leur sortie de l’eau. En effet, cela fausserait les résultats obtenus : l’oxygène dissout et le CO2 s’échappent au contact de l’atmosphère ...ce qui est surtout le cas lorsque l’eau en est saturés. C’est la raison pour laquelle, certains kits comprennent des bouteilles particulières pour échantillonner correctement. Celles-ci peuvent se refermer à l’intérieur de l’eau avant d’être remontée à la surface. Cela est surtout important pour sonder dans les grandes profondeurs, comme en mer ou dans un lac.

Visibilité du disque de Secchi

     L’évaluation par cette méthode permet d’être fixé rapidement sur la densité du phytoplancton présent dans l’étang.

     Si le disque n’est plus visible à moins de 20 cm de la surface de l’eau, cela veut dire que la densité du phytoplancton est trop dense et que l’on doit s’attendre à une chute d’oxygène dissout pouvant être dangereuse pour les poissons au levé du jour. Des mesures de dilution de ce plancton doivent être prises urgemment.

     Si le disque ne disparaît qu’à partir de 60 cm, cela veut dire qu’il n’y a pas suffisamment de phytoplancton. Donc, il y a visiblement un manque d’aliment naturel pour les poissons.

     Il est par ailleurs très facile de construire soi-même un disque de Secchi. Le schéma suivant donne un bref aperçu de ce disque.

Références :

  • Diseño de alimentos suplementarios para Tilapias, Investigacin y desarrollo pisccola, ASBANA, N°16, 1982.

  • Feeds and feeding, abridged, Morrison F.B., The Marrison Pub. Co, Clinton, Iowa, 1961.

  • merriam-webster.com

  • Predicting early morning dissolved oxygen concentration in channel catfish ponds, Boyd C.E., R.P. Romaire and E. Johnston, Trans. Amer. Fish. Soc., 1978.

  • sodimate.fr

  • Water quality in warmwater fish ponds, C.E. Boyd, Dept. of Fisheries & Allied Aquacultures, Auburn University, USA, 1979.

  • Water quality management in pond fish culture, Research and Development Series N°22, Auburn University, USA, 1982.

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1 À l’état hydraté, le calcium est appelé hydroxyde de calcium, chaux hydratée ou chaux éteinte (densité ±0,45). A l’état pur, il est appelé oxyde de calcium ou chaux vive (densité élevée ±0,9). Celle-ci est plus réactive que la chaux éteinte. La chaux éteinte est déjà neutralisée, donc en la mélangeant avec de l’eau, elle n’est pas dangereuse. Par contre, la chaux vive mélangée à de l’eau est exothermique, par conséquent cette mise en solution doit toujours se faire dans un environnement contrôlé, car la réaction est explosive et peut brûler (elle produit de la chaleur à des températures pouvant atteindre les 80°C). En la manipulant, il faut donc faire particulièrement attention aux mains et aux yeux !

2 Chez les poissons, ces pertes en concentrés/pellets alimentaires peuvent représenter jusqu’à 50% de la distribution (ration). Chez les crevettes, cela représente beaucoup moins étant donné qu’elles vont encore récupérer un pourcentage important tombé dans le fond.

3 American public health association, American water works association, and Water pollution control federation (American public health association, Washington D.C.).

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